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Des grandes écoles veulent donner des points bonus aux boursiers lors des concours. Ce qui remet en question l’égalité entre les candidats.
L’idée de départ est de remettre en route l’ascenseur social. Si 37 % des étudiants français sont boursiers, ils ne sont que 12% en école de commerce et 23% des étudiants en école d’ingénieurs. Accorder des points bonus aux boursiers lors des concours aux grandes écoles était une mesure proposée par Martin Hirsch. En décembre 2020, le directeur de l’APHP la soumettait dans un rapport remis à Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur. Cette proposition, qui va être adoptée par HEC et l’ENS en 2022, ne fait pourtant pas l’unanimité.
Martin Hirsch dressait d’ailleurs la liste des inconvénients d’un tel projet qui pourrait entrer en vigueur «dès lors que la loi y autorise»: fragilité du critère «boursier», risques de contournement, effets de seuil...
Un malus aux cubes sauf pour les boursiers
L’idée séduit pourtant les meilleures écoles de commerce. Aux Échos , le 11 mai dernier, Eloïc Peyrache, directeur général d’HEC, affichait son objectif «d’atteindre 20% d’étudiants boursiers sur critères sociaux d’ici deux à trois ans». À cette fin, la bonification fait partie des mesures envisagées «à partir du prochain concours, en 2022».
Dans la meilleure école de commerce française, tous les étudiants qui passent le concours pour la première fois (qu’on appelle les 3/2) auront des points de bonification, à l’écrit comme à l’oral. Et à la deuxième tentative, les candidats boursiers garderont ce bonus, contrairement aux autres. D’autres écoles de commerce du top 5 devraient suivre le mouvement comme l’ESCP, l’Essec, et l’Edhec qui proposaient déjà cette mesure dans un rapport rendu à Frédérique Vidal en octobre 2019.
Un bonus en fonction du niveau d’études des parents
Les Écoles normales supérieures (ENS) sont au diapason. Le directeur de la rue d’Ulm Marc Mézard va plus loin. Il réfléchit à accorder des points proportionnellement à l’échelon de la bourse, et pense à «affiner» le bonus octroyé en prenant en compte le niveau d’études des parents du candidat. En somme, moins vos parents sont diplômés, plus vous aurez de points. Objectif: 30% de boursiers en 2025. «C’est un projet qui risque de faire grincer des dents», reconnaissait Marc Mézard dans une interview donnée au Figaro.
L’ENS détaillait ce projet dans un compte rendu de son Conseil scientifique, en décembre 2019. Les candidats boursiers qui seraient en deçà du niveau d’admissibilité recevraient des points de bonification afin de passer l’oral devant un jury «qui n’en saura rien». Une mesure partagée par les ENS de Paris, Lyon, Rennes et Saclay. Dans un autre compte rendu de novembre 2020, Marc Mézard confirme que le projet «est toujours sur la table (...) [et] s’appliquerait aux concours de 2022», bien qu’ayant pris du retard, notamment pour «sécuriser le dispositif d’un point de vue juridique».
«Ça va être un imbroglio juridique»
D’ailleurs, ces mesures sont-elles légales? D’un point de vue juridique, «le grand principe est celui de l’égalité», indique Maître Valérie Piau, avocate spécialiste en droit de l’éducation*. «Toutes les personnes dans la même situation doivent se voir appliquer les mêmes règles. La question juridique de la rupture d’égalité, en raison de l’application de règles différentes à un public cible, se pose donc.» Elle poursuit: «En l’espèce, la discrimination tient au rajout de points. On introduit une inégalité au nom de la lutte contre les inégalités.» Ce sera à la jurisprudence de valider la mesure (pas encore effective). Et en l’occurrence, au juge administratif.
Ce qui ne va pas sans soulever un autre problème, précise Maître Piau: «Que les critères soient différents entre les établissements d’une part, et entre les boursiers eux-mêmes d’autre part, voilà qui amènera à d’éventuelles contestations.» Enfin, se pose la question du flou juridique sur lequel les points seront attribués. «Ça va être un imbroglio juridique», lâche Valérie Piau.
«On stigmatise ces élèves en montrant qu’ils sont moins bons»
L’idée des points bonus n’enchante pas toutes les écoles. Laurent Champaney, directeur des Arts et Métiers ParisTech et président de la commission Amont de la CGE, émet des réserves: «La CGE n’est pas pour ce système qui est mal vécu par les candidats eux-mêmes, les étudiants, les alumni et les boursiers qui se sentent humiliés par cette procédure. L’accès des grandes écoles aux candidats défavorisés ne dépend pas d’une question de quotas ni de bonus. C’est une question culturelle: les jeunes doivent être plus accompagnés par leurs parents.»
Prudente, Alice Guilhon, présidente du chapitre des écoles de management à la CGE et directrice générale de Skema business school estime que «c’est une bonne initiative, mais qui arrive un peu tôt dans l’environnement». Et d’ajouter: «Il faut l’expérimenter sur les autres et nous verrons quelles sont les mesures qui sont les plus efficaces. Je pars du principe qu’elles doivent toutes être testées», juge-t-elle.
Miser sur l’alternance
Pour Bruno Ducasse, directeur général de Montpellier BS, le débat ne se situe pas là. «On stigmatise ces élèves en montrant qu’ils sont moins bons que les autres.» Faire prendre conscience aux boursiers que les grandes écoles sont aussi faites pour eux ou ouvrir de nouvelles voies d’admission: voilà, selon lui, des solutions pertinentes. «Le vrai frein, c’est le financement de la scolarité. Il faut, d’une part, des bourses, et, surtout, miser sur l’alternance». Le point bonus ne suscite pas non plus d’enthousiasme général chez les étudiants boursiers. Dans une tribune publiée sur Le Figaro Étudiant, le Bureau national des étudiants en école de management (Bnem), le dit sans détour: «Parmi les étudiants boursiers interrogés passés par une CPGE, 70% refusent l’idée d’une bonification au concours».
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