Par Sophie de Tarlé • Publié le 05/11/2020 à 10:59 • Mis à jour le 25/10/2021 à 11:16
Alors qu’une adolescente, victime de harcèlement scolaire depuis deux ans, s’est suicidée, l’avocate Valérie Piau fait le point sur ce fléau.
«De plus en plus de familles me consultent en matière de harcèlement et de cyber harcèlement», affirme maître Piau. Pour cet avocat spécialisé dans le droit de l’éducation depuis 20 ans, la journée nationale contre le harcèlement scolaire est l’occasion de faire le point sur ce fléau, qui touche près de 700 000 enfants chaque année, soit plus d’un enfant sur dix.
FIGARO ETUDIANT - Quelles ont été les avancées?
Maître PIAU- Il y a eu beaucoup de changements Avec La loi sur l’école de la confiance du 26 juillet 2019, le harcèlement scolaire est rentré dans le code de l’éducation. Cet article dit qu’aucun élève ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale. Cela va servir de fondement aux demandes des parents qui demandent des sanctions mais qui le plus souvent, ou changeaient leur énfant d’école, soit devaient aller au pénal pour obtenir gain de cause.
L’autre avancée date du 13 octobre dernier, quand le député du Finistère Erwan Balanant (Modem) a rendu un rapport de 120 propositions aux ministres Dupond-Moretti et Blanquer, pour lequel j’ai été auditionnée. L’une d’entre elles est de faire contribuer les plateformes de réseaux sociaux (Facebook, Instagram, WhatsApp..) afin qu’elles sensibilisent les jeunes et les enseignants à leurs frais. À terme, l’objectif est de déposer un projet de loi afin d’inclure le cyberharcelement.
En tant qu’avocat, quel est votre constat?
Je constate tojours à mon cabinet les dysfonctionnements du système. En effet, les familles viennent me consulter lorsqu’après avoir avisé l’établissement scolaire, la situation de harcèlement perdure avec de lourdes conséquences pour leur enfant: phobie ou échec scolaire, états dépressifs, etc …
Les enfants sont harcelés de plus en plus jeunes. À titre indicatif, depuis ces 5 dernières années, 40 % de mes dossiers concernent des familles dont les enfants ont été harcelés à l’école primaire voire plus rarement à l’école maternelle. Les 40 % restants sont des élèves de collège, avec davantage d’élèves de 6e ou 5e, et environ 20 % d’élèves de lycée. J’ai constaté ces 5 dernières années une recrudescence des cas de harcèlement et en particulier de cyberharcèlement. Parmi eux, l’augmentation de la connotation sexuelle ou sexiste du harcèlement à l’égard des filles qui sont plus souvent victimes de fausses rumeurs et d’atteinte à leur réputation.
«Les enfants dès la primaire possèdent des téléphones portables sans aucune maturité du bon usage des réseaux sociaux» maître Piau
Fréquemment, les élèves créent un groupe WhatsApp ou Facebook de classe dans lequel des insultes, fausses rumeurs, messages audio, vidéo peuvent être en un clic adressés à toute la classe. Cela peut être un garçon qu suite à une rupture amoureuse, va partager avec ses amis les «nudes», c’est-à-dire les photos que son ex lui avait envoyées du temps où ils étaient ensemble. Mais cela peut être aussi deux très bonnes amies. À la suite d’une dispute, l’une d’elles va publier la copie des messages qu’elles s’étaient envoyés, ou une copie de son journal intime. Aujourd’hui, les jeunes s’écrivent tout le temps, mais au moindre problème, il y a le risque de voir ces écrits diffusés au plus grand nombre.
J’ai aussi constaté une recrudescence du harcèlement chez des enfants de plus en plus jeunes, dès l’âge de 7 ou 8 ans, à l’école primaire et parfois même dès l’école maternelle. J’associe pour ma part ce phénomène en partie au fait que les enfants dès la primaire possèdent des téléphones portables sans aucune maturité du bon usage des réseaux sociaux.
En tant qu’avocat, quel est le cas qui vous a le plus marqué?
La pornographie en libre accès sur les téléphones portables provoque beaucoup de dégâts chez des enfants de plus en plus jeunes. J’ai eu le cas d’enfants de 6 ème, où la fille à la suite d’un pari perdu a fait une fellation à un garçon dans les toilettes, la scène a été filmée par un autre, qui l’a diffusée sur les réaux sociaux. C’était un établissement très huppé. D’ailleurs, le harcèlement scolaire intervient aussi bien dans les établissements privés que publics.
On parle beaucoup du harcèlement entre enfants, mais peu de harcèlements entre élèves et professeurs. Pourquoi?
Oui le harcèlement de la part d’un personnel scolaire demeure tabou . Le rapport Balanant propose de regarder au-delà de la seule relation entre élèves. Le harcèlement n’est pas «exclusivement perpétré par des élèves mais peut, parfois, être initié ou alimenté par du personnel scolaire», écrit-il dans son rapport. Aujourd’hui lorsqu’un enfant se plaint d’être harcelé par un personnel scolaire, c’est souvent le parcours du combattant pour la famille . Lorsqu’elle en avise l’institution, parfois, elle n’obtient pas de réponse ni même de réaction . Il faut parfois que les parents portent plainte au pénal, pour que cela soit pris en considération. Ce qui est dommageable, car cela pousse à une judiciarisation excessive.
Une absence de réaction de l’Éducation nationale à l’encontre des personnels incriminés
Un rapport de l’inspection de l’éducation nationale intitulé «brutalités et harcèlement physique et psychologique exercés sur des enfants par des personnels du ministère» déplore généralement l’absence de réaction de l’Éducation nationale à l’encontre des personnels incriminés, parfois simplement déplacés dans un autre établissement scolaire, sauf dans les cas dans lesquels ils ont fait l’objet d’une condamnation pénale. Or, tous les comportements de harcèlement ne donnent pas lieu à une plainte de la part de l’enfant et de sa famille.
Le député Balanant suggère l’adoption de sanctions internes à l’encontre du personnel
Cependant, tous les comportements de harcèlement à l’encontre d’un enfant devraient donner lieu à une réaction de la part de l’Education nationale. La proposition 24 du député Balanant est d’ailleurs de «généraliser l’adoption de sanctions internes à l’encontre des fonctionnaires du ministère de l’Éducation nationale s’étant livré à des actes de violence envers un élève, même en l’absence de condamnation pénale. À l’heure actuelle, seule l’interdiction du harcèlement entre élèves est visée à l’article L511-3-1 du code de l’éducation. Je pense que ce serait une avancée très importante dans la lutte contre le harcèlement, comme le propose le rapport Balanant, d’ériger en principe général dans le code de l’éducation qu’aucun élève ne doit subir des faits de harcèlement quel qu’en soit l’auteur.
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