Maître Valérie Piau est une avocate spécialisée en droit de l’éducation.
Selon vous, en quoi refuser un enfant revenant de zones à risque, comme le préconise le ministère de l’Education nationale, se heurte aux textes de loi ?
L’instruction est obligatoire de 3 à 16 ans. Par principe les parents sont obligés d’envoyer leurs enfants à l’école jusqu’à cet âge et l’école est obligée d’accepter les enfants, sauf dans quelques cas prévus par la loi. En l’occurrence, c’est l’arrêté du 3 mai 1989 qui liste les maladies pour lesquelles un chef d’établissement peut refuser un élève. C’est possible par exemple en cas avéré de grippe épidémique ou de varicelle. Et la réintégration de l’élève doit se faire sur avis médical, attesté par un certificat de non contagion ou de guérison.
Dans le cas du coronavirus, il existe un grand flou juridique, puisqu’il n’est pas mentionné dans cet arrêt. Le ministère de l’Education nationale charge le chef d’établissement, selon son bon vouloir, d’accepter ou non l’élève, en se basant sur le pays où il a passé ses congés. Aucun texte légal ne permet de refuser un élève sur un motif de destination de vacances ! Surtout si aucune raison médicale ne justifie cette éviction.
Pour légaliser les choses, il faudrait appliquer les mêmes règles à tous les élèves au niveau national. Par exemple, en modifiant l’arrêté pour y intégrer le coronavirus et en demandant un certificat de non-contagion aux élèves concernés.
Aujourd’hui, on fait reposer sur les épaules d’un chef d’établissement des appréciations de causes qui devraient être nationales.
Si un parent insiste pour mettre son enfant à l’école, l’établissement ne peut donc pas refuser légalement ?
Pour moi, non, car il n’existe aucun texte légal l’autorisant, cela reste une recommandation des autorités. Les parents pourraient en référer au DASEN et demander à ce que l’enfant aille à l’école conformément à la loi, puisque l’instruction est obligatoire. La seule chose qu’un chef d’établissement peut demander aux parents, c’est d’emmener l’enfant faire un test à l’hôpital.
Et dans le cas inverse, si un parent décide de retirer son enfant de l’école pour éviter la contagion, a-t-il le droit ?
De même, l’instruction étant obligatoire, ce n’est pas possible. Le parent sera en tort, car c’est une infraction pénale de retirer son enfant de l’école. Il s’expose à une mise en demeure du rectorat, et éventuellement à des poursuites pénales.
Par contre, il y aurait quelque chose à faire concernant les conditions d’hygiène à l’école ! Le ministère envoie des recommandations pour éviter la contagion, comme se laver les mains le plus souvent possible, avec du savon ou du gel hydro-alcoolique. Or, il existe depuis des années un scandale autour de la saleté des sanitaires à l’école. Il n’y a par exemple très souvent ni papier ni savon dans les toilettes ! J’ai déjà eu des réclamations en ce sens, et dans ce cas, les parents doivent écrire au DASEN et au chef d’établissement pour réclamer un moyen de se laver les mains dans l’enceinte de l’établissement : savon, essuie-mains et liquide hydro-alcoolique.
Qu’est ce qui est prévu pour les personnels administratifs, les enseignants ?
La seule préconisation qui existe en ce moment concerne les élèves. Aucune mention concernant les enseignants et les personnels. Pour eux, c’est le flou artistique…
Jean-Michel Blanquer envisage de recourir à l’enseignement à distance en cas de nécessité, via le CNED. Que pensez-vous de cette solution en termes légaux ?
Le problème sera toujours le même, à savoir qu’il n’existe pas d’arrêté légal justifiant l’éviction d’un élève pour suspicion. Pour que ce soit légal, il faudrait qu’un arrêté soit publié, qui s’appliquerait nationalement, autorisant les élèves à suivre des cours à distance.
Sans cela, tout sera encore appliqué aléatoirement selon le bon vouloir des académies ! Cela restera du bricolage, il faudrait une harmonisation sur l’ensemble du territoire.
Je parlerais presque de « génération sacrifiée » pour ceux qui passent le bac cette année. Entre les grèves, les E3C, les blocages, la quarantaine, je me demande comment ils vont pouvoir s’en sortir !
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