Des parents de lycéens ont appelé à faire remonter les noms des professeurs qui n'auraient pas assuré les cours à distance. La FCPE du Gard a présenté ses excuses.
Au lycée Jean Vilar de Villeneuve-Lès-Avignon (Gard), un courrier rédigé par la section FCPE de l'établissement a mis le feu aux poudres, le 22 avril dernier. Celui-ci indiquait que la FCPE du Gard recensait les profs "décrocheurs" afin d'en donner la liste au Directeur académique des services de l'Education nationale (DASEN). "Aussi, nous vous demandons de nous communiquer par retour le nom et la matière des enseignants qui n'auraient donné aucune visio lors des semaines de cours en distanciel, aucune leçon sur ENT (espace numérique de travail, Ndlr) ou Pronote, n'auraient proposé ni corrigé aucun exercice", poursuivent les auteurs de la lettre. "Un appel pur et simple à la délation !, s'insurge Valérie*, enseignante du lycée Jean Vilar. "Ce procédé nous a choqués, non seulement nous les profs, mais aussi bon nombre de parents. C'est d'ailleurs grâce à certains d'entre eux que nous avons été alertés", poursuit-elle.
"Les parents n'ont pas toujours toutes les cartes en main pour juger"
Très vite, l'affaire est relayée par les réseaux sociaux. La FCPE du Gard tente d'éteindre l'incendie en présentant ses excuses à l'équipe pédagogique du lycée Jean Vilar pour "ce message erroné". "La FCPE du Gard n'encourage aucun de ses adhérents ni aucun parent à donner les noms des enseignants absents", rectifie-t-elle, accompagnant ce démenti du hashtag #DelationNon. L'affaire aurait pu en rester là. "Mais cela ne suffit pas ! Nous attendons toujours des excuses des représentants FCPE de l'établissement", poursuit Valérie. Le sujet n'a pas été abordé lors du conseil d'administration qui avait lieu ce mardi 27, mais une rencontre entre les représentants enseignants et ceux de la FCPE est prévue ce jeudi. "Si on ne comprend pas comment un professeur fonctionne, n'est-il pas plus simple de le joindre directement pour lui demander des explications, voire de s'en remettre au proviseur ? Pourquoi tout de suite envoyer une liste de noms au rectorat sur la base de témoignages plus ou moins fiables ?", questionne encore Valérie. Pour la jeune femme, il ne s'agit pas de dire que tous les professeurs sont forcément irréprochables. "Mais les parents n'ont pas toujours toutes les cartes en main pour juger. Certains de mes collègues peuvent être en arrêt maladie, d'autres ne disposent pas des outils nécessaires pour assurer le travail à distance. Il arrive aussi que certains jeunes tordent la vérité en faisant croire, par exemple, que leur prof n'est pas là ou ne donne pas de devoirs", énumère-t-elle.
Dans ce lycée, implanté dans un quartier chic de la banlieue d'Avignon, connu pour ses bons résultats, les tensions entre la communauté enseignante et certains parents d'élèves étaient déjà palpables bien avant le début de la crise sanitaire. "Beaucoup de pères ou de mères, de par leur métier ou de par leur position sociale élevée, se croient tout permis, soupire Valérie. Obsédés par la réussite de leurs enfants, ils n'hésitent pas à intervenir et à faire pression sur nous. Il n'est pas rare, par exemple, qu'on me demande de relever une note jugée trop basse." Cette attitude "consumériste", qui aurait tendance à s'accentuer - notamment dans les établissements les plus favorisés - est régulièrement dénoncée par certains syndicats de professeurs. Dès le 24 avril, le secrétariat départemental du syndicat enseignant SNALC, dans le Gard, s'est d'ailleurs fendu d'un communiqué corrosif. "Le SNALC ne saurait tolérer l'initiative de quelques parents qui tendraient à vouloir contrôler le travail des enseignants et se substituer à leur hiérarchie", écrit-il. Avant de poursuivre : "L'éducation nationale n'a nul besoin d'inspecteurs des travaux finis et de donneurs de leçons dont certains représentants de parents d'élèves voudraient pourtant embrasser la carrière. Que chacun reste à sa place et fasse ce qu'il a à faire."
"Parfois, certains disparaissent de la circulation"
Tous les avis ne sont pas aussi tranchés. "La démarche des représentants FCPE de ce lycée du Gard, certes maladroite, traduit la colère et l'incompréhension de beaucoup de parents. Et elle a le mérite de mettre en lumière une réalité souvent tue", estime Hubert Salaün, porte-parole de la PEEP, une autre fédération de parents d'élèves. Lui-même affirme être régulièrement contacté par des familles confrontées aux absences répétées ou au manque d'implication de certains professeurs. Ce qui peut générer un stress compréhensible chez les élèves, notamment à l'approche du brevet et du bac. "Evidemment, ce n'est pas une généralité. Les profs, dans leur grande majorité, exercent leur activité convenablement", admet Hubert Salaün. "Mais tout le monde sait aussi pertinemment que parfois, et d'autant plus en cette période de crise sanitaire, certains disparaissent de la circulation sans que l'on sache vraiment pourquoi", poursuit-il, reconnaissant qu'il s'agit d'un sujet "tabou", souvent nié par la communauté éducative. Et pourtant. "le proviseur de ma fille me confiait l'autre jour qu'en début d'année, plusieurs enseignants, ayant eux-mêmes des enfants inscrits dans l'établissement, lui avaient discrètement demandé d'éviter de donner tel ou tel prof à leurs progénitures, craignant leur manque d'implication", raconte cet autre père de trois enfants, établi dans le Sud de la France.
Une démarche diffamatoire ?
La méthode adoptée par la section FCPE du lycée Jean Vilar est-elle, pour autant, juridiquement valable ? "Cette lettre est problématique sur la forme car qualifier des enseignants de "décrocheurs" pourrait être considéré comme diffamatoire. Il s'agit d'une appréciation subjective, pas d'une notion juridique", explique Valérie Piau, avocate spécialiste en droit de l'éducation (auteure du "Guide Piau, les droits des élèves et des parents d'élèves, éditions L'Etudiant). Le fait de recourir à ce type de liste risquerait également d'être épinglé par la Commission nationale informatique et libertés puisque la divulgation de données personnelles doit répondre à des règles bien précises. "En revanche, des familles qui constateraient que tel ou tel cours n'est pas assuré, sont tout à fait en droit de le signaler aux associations de parents d'élèves, au chef d'établissement, voire au rectorat", poursuit Valérie Piau, rappelant que la continuité pédagogique relève de la responsabilité de l'Etat et qu'il existe une jurisprudence très claire sur le sujet.
Evidemment, dans la mesure du possible, apaiser les tensions par le dialogue est mieux accepté. "La communication reste le meilleur moyen, pour l'institution, de lutter contre cette défiance grandissante à son égard", assure Jean-Louis Auduc, ancien directeur adjoint de l'IUFM de Créteil qui organisait le 31 mars dernier, un webinaire à destination des chefs d'établissement, ayant pour thème "Une coéducation au service de la réussite pour tous à l'heure du numérique". "Le rôle des directeurs d'école, des principaux ou des proviseurs est primordial, estime ce spécialiste. Ils doivent veiller à alerter les parents sur les difficultés éventuelles que l'équipe pédagogique peut rencontrer, mais aussi expliquer comment s'organise l'enseignement à distance, quels recours ou outils sont mis en place. L'idée étant de rassurer les familles et de faire baisser la pression." De son côté, Hubert Salaün, reconnaît également l'importance de veiller à conserver de bonnes relations avec la communauté enseignante. "Nous ne gagnerons pas grand-chose à entrer dans un combat frontal avec elle. En cas de problème, il convient d'agir discrètement, sans jamais donner le sentiment de jeter le discrédit sur le corps enseignant dans son ensemble, insiste le porte-parole de la PEEP. Car la question que l'on doit toujours garder en tête lors d'une crise similaire est : comment va-t-on réussir à revivre ensemble après ?"
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