Source LE MONDE du 05.11.2020 par Mattea Battaglia
Extrait de l'article : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/11/05/harcelement-ce-que-peuvent-les-enseignants-face-a-un-phenomene-devenu-viral_6058592_3224.html
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Alors que se tient, jeudi 5 novembre, la Journée nationale contre le harcèlement scolaire, la communauté éducative est invitée à s’interroger sur un phénomène qui touche, a-t-on coutume de dire, près d’un enfant sur dix. Les chiffres mis en avant sont un peu toujours les mêmes depuis que le sujet s’est imposé sur le devant de la scène politico-médiatique, il y a dix ans : les enseignants font état de 700 000 élèves concernés, soit « deux ou trois enfants par classe », estiment-ils.
C’est ce « par classe » qui, avec l’utilisation des réseaux sociaux et l’équipement en smartphone d’enfants de plus en plus tôt, a comme perdu de son sens : le harcèlement entre élèves, désormais adossé presque systématiquement à du cyberharcèlement, ne s’arrête plus aux portes de l’école et se répand jusque dans l’intimité des chambres d’enfant.
Dans un rapport remis en octobre aux ministres de l’éducation et de la justice, le député (MoDem) du Finistère Erwan Balanant a rassemblé des statistiques plus alarmantes que celles communément admises. Comme, par exemple, le fait que 25 % des collégiens, dont beaucoup de jeunes filles, déclarent avoir déjà été victimes d’atteintes en ligne. Ou qu’un quart des victimes de harcèlement a déjà envisagé le suicide. « Matteo Bruno, Marion Fraisse, Christopher Fallais, Thybault Duchemin, Evaëlle Dupuis… Ou encore Jonathan Destin, qui a tenté de s’immoler par le feu. Les passages à l’acte se succèdent et défraient tristement la chronique », écrit le député en introduction du rapport.
« Presque une mission impossible »
Il plaide avec d’autres – dont des enseignants, des chefs d’établissement, mais aussi des familles, des psychologues et des psychiatres spécialistes de l’enfant – pour une redéfinition du phénomène à l’aune des évolutions de société. « Mieux nommer ces violences, c’est mieux les cerner, défend-il. Une étape essentielle, si l’on veut que l’école parvienne à mieux les endiguer. » Le harcèlement doit recouvrir, selon lui, « l’ensemble des comportements agressifs qu’un ou plusieurs élèves ou personnels scolaires infligent de façon réitérée et sur une certaine période, à l’intérieur d’un établissement ou dans un lieu où la vie de celui-ci se prolonge – notamment à ses abords, sur le chemin pour s’y rendre ou en ligne ».
Une façon d’englober tous les espaces que fréquente le jeune, mais aussi tous les acteurs et même les « adultes harceleurs ». Sur ce sujet, l’éducation nationale ne méconnaît pas les faits : un rapport interne leur avait été consacré en 2004. Le Défenseur des droits a aussi évoqué le sujet, en 2019. « On voit de plus en plus de familles qui tentent d’alerter l’institution, explique l’avocate Valérie Piau. Mais cela reste compliqué pour elles de faire reconnaître la situation, surtout s’il n’y a pas dépôt de plainte. L’école a encore tendance à s’abriter derrière l’absence de réaction pénale. »
Que peuvent les enseignants à l’échelle de leur classe ? « La question en elle-même a quelque chose d’ambigu, réagit Stéphane Crochet, du syndicat SE-UNSA. On traverse une époque où les professeurs sont rendus responsables de tout. Harcèlement, laïcité, santé… : il leur faudrait tout voir, tout signaler. Cette responsabilité que la société fait peser sur leurs épaules est lourde à porter. » « C’est presque une mission impossible, observe Guislaine David, du SNUipp-FSU. Un enfant en souffrance, un jeune pris pour cible, on le sait, c’est terrible… Mais les parents eux-mêmes peuvent passer à côté. Qui peut croire que, face à un phénomène devenu viral, les enseignants sont infaillibles ? »
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