Par Amandine Hirou, publié le 14/03/2020 à 09:30 , mis à jour le 16/03/2020 à 09:22
Peu après l'annonce de la fermeture des établissements scolaires, des enseignants ont posté des petites annonces pour proposer gardes d'enfants et cours privés. Malaise.
Certes, l'annonce du président de la République, Emmanuel Macron, de fermer toutes les crèches, les établissements scolaires et les universités "jusqu'à nouvel ordre" pour freiner l'épidémie de coronavirus, suscite bien des inquiétudes au sein de la communauté éducative. Mais certains y ont aussi vu des opportunités inespérées... Jeudi soir, à peine quelques heures après la fameuse allocution télévisée, des messages d'un nouveau genre ont commencé à fleurir sur des sites de petites annonces. Comme celle de ce professeur des écoles qui propose de "garder vos enfants dès lundi pour les aider à poursuivre leurs apprentissages" (pour la modique somme de 25 euros de l'heure). Ou celle de cet enseignant de français, anglais et espagnol, prêt lui aussi à "garder votre enfant ou adolescent de 5 à 15 ans, durant le confinement dû au coronavirus, afin de continuer son instruction". Ou encore celle de ce professeur de mathématiques qui s'engage à assurer le "suivi scolaire" de votre progéniture ("chèques emploi service universel" acceptés)...
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Problème : les fonctionnaires de l'Education nationale ne sont-ils pas censés assurer le "suivi pédagogique" de leurs élèves, comme le martèle le ministre Jean-Michel Blanquer depuis hier ? Comment pourraient-ils avoir le temps de poursuivre leur activité principale tout en donnant des cours ou en gardant des enfants à côté dans la journée ? D'ailleurs, est-ce bien légal ? "En principe, un fonctionnaire ne peut exercer une autre activité que la sienne, sauf si celle-ci est accessoire et n'affecte pas son exercice, répond Valérie Piau, avocate spécialiste en droit de l'éducation. Dans ce cas de figure, cela pose donc problème". Et, en tout état de cause, l'enseignant se doit de formuler une demande préalable à son autorité hiérarchique : l'inspecteur d'académie dans le premier degré, ou le recteur d'académie dans le second degré.
"Je n'ai pas encore informé mon établissement, je pensais en parler à ma directrice aujourd'hui", expliquait Thomas* ce vendredi matin. Ce professeur des écoles parisien avait posté une petite annonce sur Le Bon Coin, dès hier soir, pour offrir ses services. "Je travaille dans un institut médico-éducatif. Je pense qu'il n'y aura pas de suivi pédagogique organisé pour mes élèves en situation de handicap, ce qui me laisse du temps libre pour intervenir auprès d'autres enfants à domicile", explique-t-il. Moyennant finance, évidemment. "Scandaleux !, s'exclame Anabel Roy, secrétaire départementale du SE-UNSA de la Haute-Vienne. Ce matin, nous étions encore dans le flou total, dans l'attente de consignes claires de la part des recteurs et inspecteurs d'académie. Je ne comprends pas que l'on puisse avoir ce genre de réflexe dans la situation de crise actuelle".
Sanctions disciplinaires
Elle n'est pas la seule à être choquée. La grande majorité de la communauté éducative condamne ce genre de pratique. "Les professeurs sont loin d'être en vacances ! Notre charge de travail va être réelle dans les prochaines semaines", insiste Bruno Bobkiewicz, secrétaire national du SNPDEN-UNSA. "Un professeur d'histoire-géographie me faisait très justement remarquer ce matin que le fait de devoir formaliser tous ses cours par écrit, avant de les envoyer à ses élèves, allait représenter une tâche considérable", poursuit ce responsable syndical, par ailleurs proviseur de la cité scolaire Berlioz à Vincennes. Celui-ci prévoit d'ailleurs de réunir son équipe pédagogique lundi matin pour un mini plan de formation. Il s'agit de familiariser ceux qui ne le sont pas encore à leur plateforme numérique interne et à celle du Cours national d'enseignement à distance (Cned) recommandée par l'Education nationale. "Tout le monde se doit d'être à la hauteur de l'enjeu et de faire au mieux. On ne profite pas d'une occasion comme celle-ci pour se faire de l'argent sur le dos des familles !", insiste-t-il.
"Mais ces individus sont-ils vraiment enseignants ? On peut légitimement s'interroger", avance pour sa part Francette Popineau, co-secrétaire générale du SNUipp-FSU, syndicat majoritaire dans le premier degré. "Toujours est-il que nous n'encourageons pas ce type de démarche", ajoute-t-elle. "Notre vocation est au contraire de maintenir le lien avec nos élèves, de les aider au mieux en répondant à leurs questions, en échangeant avec eux par téléphone le cas échéant", explique-t-elle. "Dans toutes les écoles, en ce moment, nous faisons le maximum pour photocopier les livrets, préparer des documents que les parents pourront venir chercher dans les jours qui viennent. Croyez-moi ça occupe !", lance-t-elle. Ce qui n'exclut pas d'éventuelles actions de solidarité. "On peut imaginer que certains enseignants rendent service en gardant les enfants d'une voisine infirmière par exemple", avance-t-elle. "Sans contrepartie évidemment. Car cette démarche d'entraide fait partie de l'ADN des enseignants", assure-t-elle. De quoi faire réfléchir ces fameux professionnels peu scrupuleux ? "Ceux qui donnent ce genre de cours privés sur leur temps de travail officiel s'exposent à des sanctions disciplinaires et à l'obligation de reverser la totalité des sommes indûment perçues par voie de retenue sur traitement", précise enfin l'avocate Valérie Piau. Un dernier argument particulièrement dissuasif...
*Le prénom a été changé.
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